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Article mis à jour le 13 décembre 2022
La taxe carbone aux frontières, officiellement nommée « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières » (MACF), a vu ses contours se préciser grâce à la proposition législative présentée par la Commission Européenne le 14 juillet 2021. Elle a été adoptée par le Parlement européen le 13 décembre 2022.
A quoi peut-on actuellement s’attendre ? Quels sont les bénéfices mais également les limites du mécanisme proposé ? On fait le point sur ce dispositif dont l’instauration fait couler beaucoup d’encre.
Rappelons rapidement le contexte. Pour tenir son objectif de réduction de 40% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 par rapport à 1990, l’Europe a mis en place plusieurs réglementations. La plus emblématique est à ce jour le Système d’Echange de Quotas d’Emissions (SEQE) - ETS (Emissions Trading Scheme) en anglais - qui impose un plafond d’émissions dégressif chaque année à environ 12 000 sites industriels représentant plus de 40% des émissions de l’Union Européenne.
Les industriels dépassant les plafonds fixés doivent acheter (ou vendre en cas d’émissions inférieures au plafond fixé) sur le marché du carbone des quotas supplémentaires. Toutefois, afin d’éviter les risques de « fuites de carbone », l’Union Européenne attribue un certain nombre de quotas gratuits aux secteurs les plus exposés à la concurrence internationale.
Effectivement, en tant que mécanisme strictement intra-européen, le SEQE ne prend pas en compte les émissions générées en-dehors de l’Union Européenne. Certaines entreprises risquent par conséquent de délocaliser tout ou partie de leur production dans des pays tiers aux normes environnementales plus "souples", afin de réduire les coûts de réduction des émissions carbone.
L’absence de prise en compte par ce système d'échange des émissions associées aux échanges internationaux apparaît d’autant plus problématique que, comme le rappelle le Haut Conseil pour le Climat, l’empreinte carbone de la France, qui comprend à la fois les émissions importées, les émissions directes des ménages ainsi que les émissions de la production intérieure, s’avère être 70% (!) plus élevée que ses émissions territoriales.
Par exemple, les émissions moyennes d’un français sont de 11 tonnes de CO2eq par an pour l’ensemble des activités : habitation, déplacement, alimentation, travail, achats de produits et services, etc. Dans ces 11 tonnes, plus de la moitié (55%) proviennent des importations.
L’objectif du "mécanisme d'ajustement carbone aux frontières" (MACF) est précisément de lutter « encore plus efficacement » contre ces effets pervers par la mise en place d’une taxe sur les entreprises exportant vers l’Union Européenne et générant hors UE des émissions de carbone excessives. Si l’objectif premier se veut donc environnemental, l’UE ne cache pas également un but financier. La taxe carbone aux frontières doit effectivement constituer un outil de financement du plan de relance pour l’Europe.
La taxe carbone aux frontière remplit un triple objectif : inciter les industriels européens à se décarboner, les protéger de concurrents extra-européens moins vertueux, et financer la transition écologique en Europe
Ce mécanisme communément appelé « taxe carbone aux frontières » a fait l’objet d’une première résolution adoptée le 10 mars 2021 puis d’une proposition législative présentée le 14 juillet 2021 par la Commission Européenne. La proposition de règlement définit les principales règles qui doivent régir le futur outil de taxation. Cette proposition a été adoptée le 13 décembre 2022 par le Parlement européen.
Le mécanisme est présenté comme « une solution de substitution aux mesures destinées à faire face au risque de fuite de carbone dans le système de quotas de l’Union Européenne. » S’il est prévu dans un premier temps que les deux mécanismes coexistent, le MACF a donc bien vocation à remplacer, à terme, les allocations de quotas gratuits du SEQE.
Selon le projet de règlement, les produits imposés seront, dans un premier temps, uniquement des matières premières : l’acier, le ciment, les engrais, l’aluminium, l’électricité et l’hydrogène. Les importateurs de ces produits devront s’enregistrer auprès des autorités nationales afin d’acheter des certificats carbone (dits certificats MACF), dont le prix sera calculé en fonction de la moyenne hebdomadaire du prix de vente aux enchères des quotas du SEQE.
Chaque année et au plus tard le 31 mai, l’importateur devra déclarer :
NB : les règles de calcul des émissions intrinsèques seront détaillées dans des règlements à venir.
En fonction des émissions déclarées, l’importateur devra restituer le nombre de certificats correspondant, certificats qui auront été préalablement achetés auprès des autorités nationales compétentes. En cas de non-restitution, le déclarant pourra se voir appliquer une amende sur les émissions excédentaires d’un montant de 100 euros par tonne équivalent CO2 émise n’ayant pas donné lieu à un certificat.
Le texte prévoit une entrée en vigueur progressive du mécanisme à compter d’octobre 2023 qui comprend une première phase de test. Le calendrier définitif est toujours en pourparlers.
En taxant les matières premières produites dans des pays tiers en fonction de leur impact carbone, le MACF poursuit plusieurs objectifs notamment :
Malgré ces effets bénéfiques attendus et qu’il ne s’agit pas de remettre en question, il semble qu’en l’état le mécanisme proposé présente certaines limites qui pourraient entacher en partie son efficacité.
Tout d’abord, le champ d’application du MACF devrait, au moins dans un premier temps, être limité à l’acier, le ciment, l’engrais, l’électricité, l’aluminium et l’hydrogène. Ce choix s’explique par le fait que ces secteurs reposent en grande majorité sur l’exportation hors UE et que leur production est connue pour être particulièrement polluante. Les eurodéputés discutent également pour une éventuelle extension à la chimie organique et aux polymères (plastiques).
On peut toutefois regretter que de nombreux secteurs échapperont par conséquent au dispositif, bien qu’ils soient pour certains très émetteurs également (raffinage, papier, verre, etc.). Notons aussi que les importations de produits finis n’entrent pas dans son champ d’application, hormis les boulons, vis et les produits similaires qui sont réalisés avec de l’acier et du fer. Cette sélection de produits finis pourrait cependant évoluer dans les mois à venir.
Évidemment, on peut comprendre ce choix dans le sens où le calcul des émissions carbone pour un produit fini risquerait d’être particulièrement complexe, notamment dans les cas où la chaîne de valeur se trouve partagée entre plusieurs pays. Mais force est de constater que par cette limitation de son champ d’application, le mécanisme perd déjà une grande part de son intérêt.
Enfin, les conséquences indirectes du dispositif sur de nombreux secteurs, en particulier des fabricants européens de produits finis, ne sont pas à négliger. On pourra effectivement s’attendre à une hausse du prix des produits finis fabriqués à partir des matières premières concernées par le MACF, avec deux risques principaux :
Malgré ses limites, la taxe carbone aux frontières est une bonne nouvelle, car elle va dans le sens d’une taxation plus générale du carbone et de la responsabilisation des acteurs à l’échelle internationale. Il est probable que de nouvelles réglementations soient mises en place dans les années à venir pour étendre son champs d'application.
Article écrit par Clara Godin et l'équipe Aktio