Le reporting climat oblige certains acteurs financiers à fournir une information à la fois transparente et fiable concernant leur stratégie en faveur du climat et leur gestion des émissions de gaz à effet de serre, que celles-ci résultent de leur propre activité ou de celle de leurs participations. Il passe notamment par la communication d’informations sur la prise en compte des critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance).
L’objectif du reporting climat est triple :
En 2015, la France institue une obligation pionnière de transparence pour les investisseurs institutionnels sur la gestion de leurs risques liés au climat et sur l’intégration de critères ESG dans leur politique d’investissement.
Le dispositif est fixé par l’article 173 VI de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (TECV).
Le dispositif français a largement inspiré le règlement européen dit “SFDR” ou “Disclosure” (Sustainable Finance Disclosure Regulation) du 27 novembre 2019, dont le premier niveau d’obligations est entré en vigueur le 10 mars 2021.
Ce règlement, d’application directe dans tous les Etats de l’Union Européenne, oblige l’ensemble des acteurs des marchés financiers à publier des informations spécifiques quant à la manière dont ils prennent en compte les risques et les principales incidences négatives de leurs investissements (PAI : Principal Adverse Impacts) en matière de durabilité.
Le règlement distingue les exigences applicables aux entités et aux produits financiers. Pour aider les investisseurs dans leur choix d’investissement et à faire un choix parmi les différents produits, il classe les produits financiers en trois catégories en fonction de leur objectif de durabilité :
Chacune de ces catégories est assortie d’obligations de publications spécifiques. Les acteurs financiers concernés doivent donc identifier les produits relevant des articles 6, 8 et 9 et appliquer les exigences de transparence correspondantes.
Suite à l’entrée en vigueur du règlement européen “SFDR”, la France a opté pour une mise en cohérence du dispositif de 2015 avec les nouvelles exigences européennes tout en le renforçant. C’est l’objectif de l’article 29 de la loi énergie climat de 2019 et de son décret d’application du 27 mai 2021.
Conformément au droit de l’UE, le décret élargit le périmètre des acteurs concernés par le reporting en y ajoutant notamment les établissements de crédit (banques, sociétés financières,...) et entreprises d’investissement. Il conserve par ailleurs le seuil à 500 millions d’euros de bilan ou d’encours, contrairement au règlement qui fixe les exigences pour les structures de plus de 500 salariés.
Les acteurs financiers font face à des exigences réglementaires toujours plus importantes de transparence quand à l'impact environnemental de leurs investissements.
Une déclaration allégée est prévue pour les acteurs financiers ne dépassant pas le seuil de 500 millions d’euros : dans le cadre de leur reporting 2022 sur l’exercice 2021, ils devront déclarer uniquement les informations relatives à leur démarche générale sur la prise en compte des critères ESG.
Les acteurs dépassant 500 millions d’euros d’encours ou de bilan, devront reporter plus d’informations : moyens internes déployés, gouvernance ESG, stratégie d’alignement climat, etc.
A noter que suite à l’entrée en vigueur au 1er janvier 2022 du règlement européen “Taxonomie”, les sociétés européennes soumises à l’obligation de publier une déclaration de performance extra-financière (DPEF) devront, à compter du reporting 2023, publier également des indicateurs de durabilité concernant leurs produits d’investissement qualifiés de “durables” ou “verts”.
Ces informations devront être publiées dans un rapport annuel, rédigé selon le format standardisé obligatoire de la déclaration sur les principales incidences négatives prévu par le règlement “Disclosure”. Le rapport devra être publié sur le site internet de l’entité et transmis à l’ADEME.
Si aucune sanction n’est prévue en cas de reporting incomplet ou imprécis, le décret du 27 mai 2021 renforce toutefois le principe du “comply or explain”: si l’entité ne publie pas certaines informations, elle devra publier un plan d’amélioration continue présentant les opportunités d’amélioration et les actions correctrices à mettre en oeuvre, assorties d’un calendrier de mise en oeuvre.
La réglementation cadre désormais le reporting ESG des acteurs financiers, qui devront prendre des engagements quand à la mise en oeuvre d'actions concrètes.
Si les obligations réglementaires concernent à ce jour essentiellement le reporting, il est nécessaire que les investisseurs aillent encore plus loin et mènent une réflexion plus générale sur leurs choix d’investissement. Les outils mobilisés dans le cadre de leur obligation de reporting (bilan carbone, collecte de données, etc.) doivent leur permettre de dresser un état des lieux de leur impact carbone pour adapter ensuite leur stratégie d’investissement.
Pour cela, il est nécessaire que chaque investisseur évalue l’impact carbone de son portefeuille d’actifs. Il faut pour cela calculer le bilan carbone des sociétés détenues (scope 1, 2 et 3) afin de pouvoir calculer, en fonction de la part de capital détenu, leurs émissions financées.
Dans la pratique, cela peut s’avérer plus compliqué car de nombreuses entreprises n’ont pas encore effectué de comptabilisation de leurs émissions et le fonds d’investissement n’a pas forcément les moyens d’effectuer les bilans carbone de l’ensemble de ses participations. Toutefois, en l’absence de bilan carbone exhaustif, cet impact peut être estimé en recourant, par exemple, aux principales données physiques de l’entreprise.
Le bilan carbone demeure un des outils incontournable pour définir la stratégie environnementale de ses participations.
Calculer les émissions évitées des participations
Les émissions évitées d’une organisation désignent les réductions d’émissions réalisées par ses activités, produits et/ou services, par rapport à un scénario de référence, lorsque ces réductions se réalisent en-dehors de son périmètre d’activité. Il est fréquent que des entreprises engagées dans une stratégie bas-carbone mettent en avant les « émissions évitées » grâce à leurs activités, produits ou services. Ces émissions ont une importance particulière pour les fonds de Venture Capital ou de Private Equity qui investissent pour la croissance rapide des entreprises.
Exemple : une entreprise fabriquant des chaudières peut avoir le même impact carbone qu’une entreprise produisant des scooters électriques. Mais les “émissions évitées” de la deuxième seront bien supérieures à la première.
Ces émissions évitées doivent être distinguées des émissions du bilan carbone de l’entreprise, et ne peuvent en aucun cas être simplement soustraites à celui-ci.
Par ailleurs, l’ADEME rappelle qu’il n’existe pas encore de cadre méthodologique équivalent au Bilan Carbone pour le calcul de ces émissions évitées. Elle recommande donc :
Le calcul des émissions évitées est un enjeu clé pour les investisseurs, qui soutiennent des entreprises en forte croissante contribuant à la transition bas-carbone.
Une fois ce premier état des lieux effectué, de nombreux outils peuvent être mobilisés par l’investisseur tout au long du processus d’investissement afin d’amener les entreprises à renforcer leur stratégie climatique.
Le fonds d’investissement peut ainsi décider de réorienter ses investissements préférentiellement vers des secteurs moins carbonés (greentechs, cleantechs, efficacité énergétique, etc.) et au contraire d’exclure certains secteurs (charbon, secteurs « carbonés »). Certains investisseurs font également le choix d’investir dans des entreprises industrielles afin de les aider dans leur performance climatique.
Afin d’inciter l’entreprise à adopter une stratégie climat ou une politique RSE plus ambitieuse, l’investisseur peut également conditionner son apport de fonds à certaines conditions, en recourant à l’engagement actionnarial (par exemple, l’insertion d’une « clause climat » dans le Term sheet prévoyant l’obligation d’effectuer un bilan carbone dans l’année et/ou de définir une feuille de route climat) ou la réalisation d’un audit d’acquisition de la cible (Due Diligence) sur la prise en compte des critères ESG.
Une fois l’investissement effectué, l’enjeu est ensuite d’accompagner l’entreprise dans sa transition bas-carbone. Cela peut passer par exemple par la sensibilisation des équipes aux questions climatiques ainsi que par le suivi des actions mises en place dans le cadre du reporting ESG.
Dans tous les cas et afin de donner une « direction unique » à la participation, il est important que cet accompagnement fasse l’objet d’une réflexion conjointe entre co-investisseurs.
Selon une étude réalisée par OXFAM, en 2020, 70% des financements énergétiques des banques françaises étaient toujours orientés vers les énergies fossiles. Face à l’urgence climatique, cette tendance doit impérativement être inversée. L’atteinte de l’objectif mondial de neutralité carbone ne pourra être rendu possible que si tous les acteurs du monde financier s’emparent de la problématique et se désengagent des actifs nocifs pour le climat.
Article écrit par Clara Godin et l'équipe Aktio