Nous tenons à remercier notre partenaire Clémence Benoit, Co-fondatrice de Rénoverie, et Florian Beauchet, Fondateur d’ERBOS, pour leurs contributions à cet article.
En 2019, en France, le secteur du bâtiment a généré 153 millions de tonnes de CO₂, ce qui représente 25 % de l’empreinte carbone annuelle du pays. Sa décarbonation apparaît ainsi essentielle pour atteindre les objectifs climatiques fixés par l’Accord de Paris et pour réussir notre transition vers une société bas-carbone.
Afin de comprendre la décarbonation du secteur du bâtiment dans toute sa complexité, il est d'abord essentiel de distinguer les deux grands segments du parc immobilier : le parc résidentiel et le parc tertiaire. Le parc résidentiel regroupe l'ensemble des bâtiments destinés à l'habitation, tels que les maisons, les appartements ou les logements collectifs. Le parc tertiaire, quant à lui, regroupe les bâtiments à usage professionnel, commercial ou administratif (bureaux, commerces, écoles, hôpitaux).
En 2021, le secteur résidentiel représentait 64 % des émissions directes, tandis que le secteur tertiaire en constituait 36 %. A savoir également qu’au sein du secteur tertiaire, 53 % des bâtiments sont privés et 47 % publics. A propos des sources d'émissions, le parc résidentiel est principalement concerné par la consommation énergétique des ménages alors que le parc tertiaire, dont les bâtiments sont souvent plus grands et complexes, est responsable d'une part importante des émissions liées à l'énergie utilisée pour les climatisations, le chauffage et les équipements divers.
Le saviez-vous ? L’impact climatique de l’exploitation des bâtiments est nettement plus important que toutes les autres sources d'émissions. En effet, parmi les 25 % d’empreinte carbone générée par le secteur, 18 % proviennent de cette source. Et si les émissions liées à l’exploitation des bâtiments proviennent en partie des besoins de climatisation, elles restent en majorité issues des besoins de chauffage des usagers. Ainsi, pour limiter la part des émissions liées à l’exploitation des bâtiments, il est nécessaire d’optimiser leur consommation d’énergie.
On peut voir ci dessous la prépondérance des énergies fossiles dans les émissions directes liées à l’exploitation des bâtiments.
Dans cette perspective, l’intégration des énergies renouvelables dans le mix énergétique local apparaît comme une solution stratégique pour réduire l’empreinte carbone d’une structure tout en permettant de répondre aux besoins thermiques de ses usagers.
Un système de chauffage utilisant des énergies renouvelables fonctionne de la même manière qu’un système basé sur les énergies fossiles. La seule différence réside dans le fait qu’il génère de la chaleur à partir de sources renouvelables, moins émettrices de CO₂, plutôt que de combustibles fossiles limités. Nous détaillerons ici quelques-unes des technologies renouvelables qui peuvent représenter des solutions de chauffage décarboné.
Cette solution remplace l’utilisation de combustibles pour produire de la chaleur par un usage naturel de celle-ci grâce à des techniques d’aérothermie ou de géothermie, exploitant la chaleur présente dans l’air ou dans le sol.
Toutefois, pour que cette technologie fonctionne correctement, il est indispensable qu’elle soit mise en œuvre dans un bâtiment bénéficiant d’une isolation de qualité. D’où l’importance de considérer la décarbonation des bâtiments comme un ensemble d’actions complémentaires formant une solution globale, plutôt qu’un simple geste isolé.
Une option particulièrement pertinente consiste à connecter les bâtiments aux réseaux urbains de chaleur et de froid, qui optimisent les ressources locales. Les réseaux chauds et froids urbains sont des systèmes de distribution d’énergie calorifique produite de façon centralisée, permettant de desservir plusieurs usagers. Le réseau de chaleur transporte de l’eau chaude ou de la vapeur, produite par des centrales (biomasse, géothermie, déchets), pour le chauffage et l’eau sanitaire. Le réseau de froid, quant à lui, distribue de l’eau refroidie, souvent produite par des centrales de refroidissement, pour climatiser les bâtiments. Ces réseaux permettent une gestion centralisée et plus efficace de l’énergie.
👉 Pour bien comprendre les réseaux de chaleurs urbains : vidéo pédagogique
Réduire ces émissions qui proviennent principalement de l’utilisation des énergies fossiles pour le chauffage, la production d’eau chaude et la cuisson, nécessite des actions ciblées. Selon la Stratégie nationale bas-carbone, les émissions liées à l’exploitation des bâtiments doivent être limitées à environ 30 millions de tonnes de CO₂ d’ici 2030, contre 75 millions de tonnes en 2021. En 2021, les émissions de CO₂ étaient principalement dues à l’utilisation du fioul (21 millions de tonnes) et du gaz (44 millions de tonnes), avec les 10 millions de tonnes restantes provenant d'autres sources, telles que les déchets, la réfrigération ou la climatisation.
Si l'optimisation de l'exploitation des bâtiments demeure un levier majeur dans la décarbonation du secteur, la rénovation thermique de l'existant n'en demeure pas moins pertinente. Il faut d'ailleurs noter que près de 75 % du parc immobilier de 2050 est déjà constitué aujourd’hui. Aussi, selon Rémi Babut, membre du Shift Project, la rénovation engendre environ deux fois moins d’émissions de gaz à effet de serre (GES) et nécessite dix à vingt fois moins de matériaux que la construction. Ces chiffres restent toutefois à consolider, les méthodes de calcul n’étant pas encore stabilisées et les retours d’expérience encore limités.
Les actions principales de la rénovation énergétique se concentrent sur plusieurs leviers :
La rénovation thermique améliore le confort des usagers tout en optimisant la consommation énergétique. Toutefois, ce n'est pas le seul levier pour réduire les émissions liées à l’exploitation des bâtiments.
Les émissions générées par l’exploitation des bâtiments constituent la principale source d’impact climatique du secteur. Néanmoins, celles issues de la construction de nouveaux bâtiments ne doivent pas être négligées. Réduire l’empreinte carbone des matériaux utilisés représente en effet un levier essentiel pour la décarbonation du secteur.
Pour atteindre les objectifs de décarbonation de la construction, l’utilisation de matériaux bas-carbone est essentielle. Mais avant tout, il convient de déterminer parmi les matériaux utilisés dans la construction des bâtiments, lequel est le plus répandu et le plus émetteur de carbone.
Il s’agit du béton ! Dans le monde, 150 tonnes de béton sont utilisées chaque seconde. Ce matériau est tellement répandu qu'il figure parmi les substances les plus utilisées, juste après l’eau, et devant le plastique ! Pour ce qui est de l’échelle nationale, son utilisation représente 2,4 % des émissions de gaz à effet de serre de la France. Ainsi, lors de la construction de bâtiments neufs, utiliser des versions de bétons moins émettrices de CO₂ représente un des leviers central de la décarbonation de la construction des bâtiments.
Quel composant du béton pèse le plus sur son empreinte carbone ? Le béton est composé de ciment, de granulats, d’eau et d’adjuvants chimiques, mais c’est le ciment qui génère la majorité des émissions de gaz à effet de serre. L'empreinte carbone du ciment est principalement aggravée par la phase de clinkérisation.
Il est donc essentiel de prendre en compte l’utilisation d’alternatives décarbonées au béton dans la construction des bâtiments. Plusieurs options existent, comme l’utilisation de ciment sans clinker, mais le recours à des matériaux autres que le béton représente également un levier clé pour la décarbonation du secteur de la construction.
Les matériaux biosourcés peuvent être utilisées tant pour la construction que pour la rénovation d’un bâtiment.
Il s’agit de matériaux issus de la matière organique renouvelable (biomasse) d’origine végétale ou animale.
Le bois, le chanvre ou encore la paille sont des exemples de ressources naturelles ayant une faible empreinte carbone.
Le bois est le plus souvent utilisé pour réaliser les structures de bâtiments, la paille et le chanvre trouvent leur utilité pour la réalisation des isolations.
La circularité de l’utilisation de matériaux ayant déjà servit permet également de réduire l’impact carbone de la construction dans la mesure où leur réemploi évite les émissions d’une fabrication neuve. Ce réemploi de matériaux issus de déconstructions, comme des faux planchers ou des panneaux en aluminium recyclé, permet de limiter l’extraction de nouvelles ressources.
Cependant, ces pratiques peuvent se heurter à des difficultés, comme le manque de stocks pour le réemploi ou des surcoûts initiaux. La solution réside dans l’accompagnement des projets, en proposant plusieurs options intégrant plus ou moins de matériaux bas-carbone.
Au-delà de la conception et du choix des matériaux, améliorer la gestion des bâtiments existants est une étape essentielle pour réduire l’empreinte carbone du secteur. Anticiper les besoins permet d’éviter les émissions inutiles liées à une mauvaise exploitation des bâtiments, en s’appuyant sur des solutions technologiques et sur la sensibilisation des occupants.
L’un des moyens les plus efficaces pour optimiser la consommation d’énergie et réduire les émissions associées est l’utilisation des systèmes de gestion technique des bâtiments (GTB).
Les systèmes GTB regroupent les équipements dédiés à la gestion du chauffage, de la ventilation, de l’éclairage... Dans les bâtiments tertiaires, deux dispositifs peuvent même être rendus obligatoires : les systèmes d’automatisation et de contrôle, ainsi que les systèmes de régulation automatique de la température. Ces outils permettent de surveiller en temps réel la consommation énergétique et d’anticiper les besoins. Ils offrent ainsi une solution concrète pour éviter le gaspillage, comme un chauffage qui reste allumé toute la nuit ou une climatisation qui fonctionne alors que les bureaux sont vides.
Sensibiliser les gestionnaires et les occupants est tout aussi crucial. Encourager des comportements éco-responsables, tels que réduire la consommation d’énergie ou privilégier la ventilation naturelle, peut générer des économies significatives et renforcer l’efficacité énergétique des bâtiments.
Il faut savoir que la décarbonation du secteur du bâtiment est encadrée par deux législations majeures : la RE2020 et le décret tertiaire. La RE2020 impose aux bâtiments neufs une réduction de 30 % des émissions de gaz à effet de serre dès 2025, tout en favorisant l’utilisation de matériaux bas-carbone. Le décret tertiaire, quant à lui, fixe des objectifs de réduction de la consommation énergétique pour les bâtiments existants : 40 % d’ici 2030, 50 % d’ici 2040 et 60 % d’ici 2050.
A savoir qu’en 2024, selon l’ADEME, seulement 6 % des logements français sont classés A et B. Pour atteindre les objectifs fixés, le parc de logements devrait être constitué de 80 à 90 % de logements classés A et B du DPE.
La construction de nouveaux bâtiments contribue aux émissions, mais c'est principalement la réduction de celles liées à leur exploitation qui sera décisive pour la décarbonation du secteur dans les années à venir. La décarbonation du secteur du bâtiment ne doit pas être considérée comme une série de solutions isolées, mais comme un ensemble d’actions complémentaires formant une approche globale. Seule une stratégie cohérente et coordonnée permettra d’atteindre les objectifs climatiques et de transformer réellement ce secteur.