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Merci à Charles Dubouix d’Ovrsea pour sa contribution à cet article. OVRSEA est un commissionnaire de transport combinant digital et expertise métier pointue. Leur objectif : rendre votre supply chain plus efficace, résiliente et durable.
Loin d’être un secteur secondaire, le transport de marchandises longue distance constitue une activité essentielle au bon fonctionnement de notre économie mondiale et interconnectée.
Le transport de marchandises est également à l’origine de 7%* des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial. Sa décarbonation représente donc un enjeu crucial pour lutter contre le changement climatique et atteindre la neutralité carbone en 2050.
(*Ce chiffre inclut tous les modes de transport, pas uniquement le transport longue-distance : transport routier courte et longue distance, fret maritime, fluvial, ferroviaire et aérien.)
D’autant plus que la tendance est loin d’être à la baisse. Depuis les années 1970, le tonnage de marchandises (soit le nombre de marchandises transportées multipliée par la distance en kilomètres) transportées par voie maritime est ainsi passé de 2,5 milliards de tonnes à 8,4 milliards de tonnes en 2010.
Plus globalement, les émissions liées au transport de marchandises augmentent d’environ 2% par an depuis les années 2000 et selon le Shift Project, les livraisons liées au “e-commerce” pourraient suivre la croissance importante des quatre dernières années soit 9% par an.
Il existe cinq types de modes de transport principaux en logistique longue distance :
Selon les chiffres de l’OCDE, 92% des marchandises sont transportées par voie maritime ou par route (respectivement 70% et 22%). Le fret aérien reste pour l’instant anecdotique (0,2% du volume de marchandises transportées) mais connaît néanmoins une augmentation importante en raison de l’explosion du e-commerce.
Les entreprises choisissent généralement entre ces différents modes de transport en fonction des produits à acheminer et des distances à parcourir. Dans certains cas, la combinaison de plusieurs modes (transport intermodal ou multimodal) peut être également avantageuse et moins coûteuse.
Certains produits présentent des contraintes physiques ou de temps qui nécessitent de privilégier un certain mode de transport. C’est le cas par exemple pour les denrées périssables, telles que les denrées alimentaires, ou encore les marchandises fragiles (produits pharmaceutiques), pour lesquelles le fret aérien est généralement privilégié car rapide et sûr.
De même, le transport par voie maritime est particulièrement adapté au transport de matières premières qui nécessitent des infrastructures importantes au départ et à l’arrivée pour permettre leur stockage et distribution.
Le transport routier génère à lui seul les deux-tiers (66%) des émissions du transport de marchandises au niveau mondial. Il est suivi du transport maritime (24%) puis du transport aérien (5%, - ce qui est loin d’être négligeable et montre l’importance d’agir également sur ce volet).
Le bilan carbone élevé de la logistique longue distance provient surtout de l’utilisation de carburants fossiles en particulier le diesel dans les camions, le fioul dans les navires et le kérosène dans les avions. 95% du fret mondial serait ainsi assuré par les énergies fossiles, dont 91% par du pétrole (!).
Dans un contexte où la disponibilité des énergies fossiles risque de diminuer au cours des prochaines décennies, il est donc impératif de réduire la dépendance aux énergies fossiles grâce à l’adoption de solutions alternatives plus durables et respectueuses de l’environnement.
Malgré une pression politique croissante, la décarbonation totale du transport de marchandises se heurte à un certain nombre de freins parmi lesquels on peut notamment citer :
Les émissions de gaz à effet de serre, principalement du dioxyde de carbone (CO2), constituent l’un des principaux impacts environnementaux liés au transport de marchandises.
En France, le transport (fret et passagers) est par ailleurs le secteur qui émet le plus d’émissions depuis les années 1998. Ainsi, en 2021, 39% des émissions françaises provenaient des activités de transports selon les derniers chiffres du CITEPA.
Plus précisément, en France, le transport routier est à l’origine de 94 % des émissions de CO2 du secteur des transports, la majorité de celles-ci provenant des voitures particulières des ménages (53,6%), suivies des poids lourds (28,6%) puis des véhicules utilitaires légers (16,9%).
Cependant, le poids des émissions des poids lourds, rapportées à la circulation (kilomètres parcourus par les véhicules), est plus important que celui des voitures particulières (5% de la circulation contre 76% pour les véhicules des particuliers).
Mais l’impact environnemental de la logistique longue distance va au-delà des seules émissions carbone, il faut notamment évoquer :
Enfin, la pollution occasionnée par les déchets liés à la logistique longue distance représente également un enjeu environnemental majeur et loin d’être négligeable.
Exemple : la perte de conteneurs en mer est estimée entre 10 000 et 15 000 par an par le Centre de documentation de recherche et d’expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux (Cedre) (soit 0,05% de pertes sur le volume total de conteneurs transportés).
Le calcul des émissions constitue la première étape cruciale pour pouvoir cibler les actions de réduction des émissions à mettre en place.
Rappelons que la réalisation d’un bilan d’émissions de gaz à effet de serre (BEGES) constitue actuellement une obligation pour toutes les entreprises de plus de 500 salariés (article L229-25 du Code de l’environnement).
Notons également que depuis 2011, les prestataires de transport doivent informer les utilisateurs de la quantité d’émissions de gaz à effet de serre émise par le ou les modes de transport utilisés (article L1431-3 du Code des transports).
Les principes de calcul, communs à tous les modes de transport (ferroviaire, routier, fluvial, maritime et aérien), ainsi que les modalités d’information du bénéficiaire sont précisés aux articles D1431-2 à D1431-23 du Code des transports.
L’approche de calcul des émissions la plus répandue (méthode Bilan Carbone® de l’ADEME) consiste à collecter les quantités de marchandises transportées par trajet et mode de transport, ainsi que la distance parcourue et les consommations de carburant.
Si l’entreprise ne possède pas d’informations précises sur la consommation de carburant, elle peut utiliser les facteurs d’émissions de la Base Empreinte® de l’ADEME, l’unité de référence étant le kgCO2e/tonne.km (soit la quantité de gaz à effet de serre émise pour transporter une tonne de marchandises sur un kilomètre).
En pratique, il est souvent difficile d’obtenir des données physiques précises sur l’ensemble des kilomètres parcourus par les marchandises pour une entreprise. Dès lors, il est d’usage de poser une hypothèse sur la part de chaque mode de transport.
La pratique du bilan carbone tend à se généraliser dans le secteur de la logistique longue distance. Ainsi, en 2022, 54% des chargeurs ont calculé leurs émissions contre à peine 41% en 2021. Néanmoins, ce chiffre est encore loin d’être suffisant dans un contexte où la décarbonation du secteur nécessite un effort important de l’ensemble des acteurs.
La mise en oeuvre d’un bilan carbone pour les entreprises de la logistique longue distance présente par ailleurs de nombreux avantages au-delà du strict calcul des émissions au premier rang desquels figurent notamment :
En tant que consommateurs, les utilisateurs et clients ont évidemment aussi un rôle plus en plus prépondérant à jouer dans la décarbonation de la logistique longue distance avec les pratiques de livraison à domicile. Il est donc important de les sensibiliser sur l’impact carbone du transport de marchandises et de les inciter à engager des actions concrètes en faveur d’une réduction des émissions liées au transport des produits qu’ils achètent, comme par exemple privilégier des produits locaux ou des livraisons lentes
Il est néanmoins important de comprendre que pour la plupart des produits, la part des émissions liées au transport reste limitée. En effet, les émissions liées à la fabrication représentent souvent la majeure partie de l’empreinte carbone d’un produit. Sauf dans certains cas précis comme les biens de consommation importés par avion, la consommation de produits locaux n’aura donc qu’un impact mineur sur la réduction des émissions liées au transport.
De façon générale, il apparaît plus intéressant de se tourner préférentiellement vers des produits donc l’impact carbone global est faible. Et, pour les produits plus “carbonés”, de réfléchir aux alternatives possibles à l’achat neuf (location, achat d’un produit d’occasion, etc.).
Les risques climatiques, qu’ils soient physiques ou de transition, constituent également un défi de taille pour les sociétés de logistique longue distance. Certains risques se font d’ores et déjà sentir et vont impacter de façon croissante les différents modes de transport de marchandises.
En voici quelques exemples :
La décarbonation du secteur des transports de marchandises s’avère donc également cruciale pour augmenter la résilience des entreprises face à ces différents aléas climatiques et garantir ainsi la sécurité d’approvisionnement.
Comme pour l’ensemble des secteurs économiques, il n’existe pas une seule réponse mais de nombreux leviers d’action qui doivent être combinés pour décarboner en profondeur le secteur de la logistique longue distance.
Comme le souligne le Shift Project, la consommation d’énergie et les émissions de la logistique longue distance s’expliquent notamment par cinq facteurs :
En pratique, on utilise généralement la décomposition suivante :
Par conséquent, la réduction des émissions du secteur de la logistique longue distance nécessite la mise en place de solutions permettant d’agir sur ces différents facteurs.
Le cabinet de conseil Carbone 4 classe ces leviers en deux catégories principales : les leviers de sobriété et les leviers technologiques.
La mise en place de ces deux familles de leviers est indispensable pour atteindre les objectifs de décarbonation ambitieux fixés aux niveaux étatique et international. En effet, la technologie, bien que nécessaire, n’apparaît pas comme une solution suffisante pour décarboner la logistique longue distance et doit impérativement être couplée avec une démarche de sobriété et de modération de la croissance.
Alors que les énergies fossiles sont encore massivement utilisées pour le transport de marchandises, l’usage de modes de propulsion alternatifs apparaît comme un des leviers technologiques les plus impactants pour décarboner la logistique longue distance.
Ces différentes solutions alternatives peuvent être plus ou moins décarbonantes en fonction du type de matière première utilisée et de l’énergie consommée pour leur transformation.
Elles comprennent notamment :
Le tableau ci-dessous présente les principaux modes de propulsion utilisés actuellement dans les modes de transport de fret et leurs alternatives moins carbonées :
Cependant, la généralisation de ces modes de propulsion alternatifs se heurte également à certaines limites, notamment :
En pratique, comme l’indique Carbone 4, il apparaît nécessaire de jouer entre ces différentes technologies en fonction du besoin du transport.
Si l’on prend l’exemple du fret routier, bien que l’électrification des poids-lourds apparaissent comme la solution la plus impactante en termes de réduction des émissions carbone, elle peut encore difficilement être envisagée pour la longue distance. En effet, l’autonomie des batteries et le temps de recharge constituent encore des facteurs limitants et la rende donc (pour l’instant) plus adaptée pour la logistique urbaine et régionale.
Le report modal constitue un autre levier très impactant pour accélérer la décarbonation de la logistique longue distance. Il s’agit de recourir à l’utilisation de modes de transport plus écologiques, notamment le maritime porte-conteneurs, en remplacement ou en complémentarité des autres modes de transport.
Exemples : remplacer le fret routier par du ferroviaire et/ou du fluvial, remplacer le fret aérien par du fret maritime ou ferroviaire.
Pour choisir le mode transport le plus adapté, il est recommandé de recourir à des simulations visant à calculer les impacts d’un report modal en termes de coût, de temps et d’émissions carbone.
Au-delà de la réduction des émissions carbone, le report modal, notamment vers le fret maritime, ferroviaire et fluvial, peut également générer d’importantes économies financières. Ainsi, le remplacement du fret aérien au fret maritime permettrait de diviser les coûts associés entre 2 et 10.
D'après OVRSEA, qui accompagne des chargeurs à transitionner, le report modal aérien -> maritime représente un gisement d'économies de plusieurs centaines de milliers d'euros par an pour des entreprises du luxe, de la cosmétique ou de la mode. Le défi est d'aider leurs équipes transport à maintenir la même qualité de service, avec des temps de transit plus importants. Ce que l'on arrive à faire grâce au digital.
Enfin, on peut évoquer également le développement de nouveaux modes de transport moins “traditionnels” : transport de marchandises par dirigeables (société française Flying Whales), transport de colis par drones de livraison (cf cette étude réalisée par l’ADEME en 2020) mais aussi voiliers-cargo. S’ils sont encore marginaux à l’heure actuelle, leur potentiel ne doit pas être négligé pour autant.
L’optimisation des itinéraires, de la vitesse et des processus logistiques constitue aussi un moyen-clé pour réduire les émissions du secteur de la logistique longue distance.
Cela passe notamment par :
L’optimisation des flux logistiques passe également et nécessairement par le développement de davantage d’infrastructures d’intermodalité pour simplifier le passage d’un mode de transport à un autre en évitant les ruptures de charges.
Par ailleurs, la décarbonation du “dernier kilomètre” - soit la dernière étape de la chaîne d’approvisionnement qui permet l’acheminement au client final - représente un enjeu crucial dans le sens où celle-ci totalise à elle seule en moyenne 25% des émissions de gaz à effet de serre du transport global. Plusieurs solutions peuvent être déployées telles que :
En France, la Stratégie Nationale Bas-Carbone constitue la feuille de la route de la transition bas-carbone en France pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Elle définit notamment, pour chaque secteur d’activité, des objectifs de réduction des émissions à court et moyen terme sous forme de budgets carbone.
À l’origine de 30% des émissions nationales de gaz à effet de serre, le secteur des transports fait partie des secteurs économiques prioritaires visés par la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC) en France.
Ce chiffre ne tient cependant compte que des émissions directes des véhicules sur le territoire national, hors transports internationaux. Plus précisément, le fret représente environ un tiers des émissions totales des transports soit 10% des émissions de gaz à effet de serre nationales.
Pour le secteur des transports, la SNBC vise les objectifs ambitieux d’une réduction de 28% des émissions du secteur en 2030 (par rapport à 2015) et d’une décarbonation complète du secteur en 2050.
Cette stratégie de réduction définie 5 piliers pour la décarbonation des transports :
Le fret de marchandises est pris en compte de manière globale à travers les objectifs fixés pour le secteur des transports en général (fret et transport de voyageurs).
La coordination de la planification écologique relève du Secrétariat Général à la Planification écologique (SGPE) qui a publié plusieurs plans sectoriels fixant les principaux leviers de décarbonation à mettre en place. Pour la réduction de l’empreinte carbone des flux logistiques, les principaux objectifs concernent :
L’élaboration de scénarios prospectifs est un outil nécessaire pour alimenter la définition et la mise en oeuvre des stratégies politiques nationales et internationales.
Elle permet notamment d’explorer les conséquences concrètes (économiques, technologiques, environnementales, sociales) des politiques publiques mais également les éventuels freins à leur mise en place.
Plusieurs travaux méritent à ce titre d’être mentionnés :
Citons également les travaux du Shift Project dans le cadre du plan de transformation de l’économie française (PTEF) et particulièrement le rapport de mars 2022 “Assurer le fret dans un monde fini” qui propose aux décideurs publics des solutions pragmatiques pour décarboner le secteur du fret en France.
Enfin, l’initiative Science-Based Targets (SBTi) établit des outils et standards pour aider les entreprises à définir une trajectoire ambitieuse de réduction de leurs émissions en conformité avec la science. Des méthodologies précises sont définies pour chaque secteur d’activité et notamment pour le secteur des transports.
Essentiel au bon fonctionnement de notre économie, le secteur de la logistique longue distance doit néanmoins subir une transformation profonde pour permettre l’atteinte des objectifs climatiques. En France, la Stratégie Nationale Bas-Carbone vise ainsi l’objectif particulièrement ambitieux d’une décarbonation complète du secteur des transports d’ici 2050.
Cette trajectoire de décarbonation nécessite la mise en oeuvre de leviers technologiques combinés à des leviers de sobriété, nécessaires pour limiter l’impact carbone lié à la hausse inévitable de la demande de transport de marchandises dans les prochaines décennies.
Face à ces enjeux, les entreprises ont un rôle important à jouer en agissant dès maintenant pour réduire drastiquement les émissions carbone de leur chaîne d’approvisionnement. Il incombe également à chacun de nous de mener une réflexion sur les moyens de réduire la part “transport” de notre empreinte carbone individuelle.
La route est encore longue mais des solutions existent et de nombreux acteurs agissent d’ores et déjà pour favoriser un transport de marchandises plus respectueux de l’environnement. Citons notamment l’entreprise britannique TOWT qui développe une solution logistique innovante et bas-carbone sous la forme de voiliers-cargo d’une contenance de 1100 tonnes (soit 30 fois plus que les voiliers existants!).