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Limiter le réchauffement climatique à 2°C : tel est l’objectif ambitieux fixé par l’Accord de Paris pour préserver notre planète. Pour atteindre ce cap, il est indispensable que les entreprises s’engagent activement vers la neutralité carbone et contribuent collectivement à cet effort mondial.
C’est dans cette optique qu’a été créée la Science-Based Targets initiative (SBTi). Ce cadre de référence aide les entreprises à concevoir des trajectoires alignées avec les objectifs climatiques globaux, tout en les accompagnant dans la réduction de leurs émissions sur l’ensemble des scopes. En raison de son exigence et de son approche globale, ce référentiel contribue largement à la réduction des émissions du scope 3, un axe réputé complexe dans la trajectoire bas-carbone de toute entreprise.
Il faut savoir que le scope 3 concerne les émissions indirectes issues des activités réalisées en amont (fournisseurs) et en aval (utilisation et fin de vie des produits) de la chaîne de valeur de l'entreprise. Il représente souvent la majeure partie des émissions de celle-ci. Le problème réside dans sa quantification qui demeure un défi car elle nécessite une collaboration étroite avec des tiers pour accéder à des données souvent indisponibles directement.
Alignée sur les ambitions de l’Accord de Paris, la démarche SBTi incite les entreprises à relever ce défi crucial. Elle les guide dans la structuration de leurs actions pour s’engager dans une décarbonation profonde et pour répondre efficacement aux exigences de la transition bas-carbone.
En Octobre, lors du salon PRODURABLE, nous avons approfondi ces enjeux à travers une conférence dédiée, mêlant retour d’expérience et expertise. Nous avons notamment mis en lumière le témoignage d’Elis sur sa démarche SBTi, enrichi par l’analyse de notre partenaire Corpokarma, agence spécialisée en conseil et innovation pour le développement durable.
Cette table ronde a été animée par :
La SBTi est devenue l’un des standards majeurs pour définir une trajectoire carbone alignée avec les objectifs climatiques mondiaux. Chaque année, le nombre d’entreprises engagées dans la démarche ne cesse d’augmenter :
L'engagement dans la trajectoire SBTi est une démarche stricte qui impose des règles claires. Si elle n'est pas respectée, des sanctions peuvent être imposées par SBTi.
Par exemple, après l’envoi de la lettre d’engagement des entreprises, un délai de deux ans est prévu pour atteindre les objectifs fixés. Si ceux-ci ne sont pas réalisés dans ce laps de temps, l’entreprise s'expose à un recadrage de la part de l'organisme.
Plusieurs grandes entreprises, telles qu'Amazon, CMA CGM ou Allianz IM, ont déjà été confrontées à ce type de situation en raison d’un manque de cohérence entre leurs actions et leurs engagements.
Il est donc crucial que les entreprises engagées dans une démarche SBTi respectent leurs engagements, car un non-respect généralisé des exigences pourrait fragiliser la légitimité du référentiel et freiner l'atteinte des objectifs de décarbonation globaux.
Un tel scénario risquerait de créer une "bulle d’engagements", où les intentions affichées dépassent largement les résultats concrets, érodant la confiance des parties prenantes et affaiblissant la capacité de la démarche à stimuler une réelle transition bas-carbone. Pour prévenir cette dérive, il est impératif d'accompagner les entreprises de manière ciblée, à la fois techniquement et stratégiquement, afin de garantir la transformation effective de leurs ambitions en actions mesurables.
En amont de la signature de sa lettre d’engagement dans la démarche SBTi, il est nécessaire de prêter attention à quelques points clés.
La lettre d'engagement de la SBTi est un document officiel qu'une entreprise signe pour confirmer son intention de définir des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) conformes aux critères scientifiques de l'initiative.
Une fois cette lettre soumise, les entreprises ont deux années maximum pour respecter l’ensemble des engagements initialement pris. Il est donc essentiel pour elle de s’assurer qu'elle est prête à répondre aux attentes du processus dans le temps imparti.
Réaliser un Bilan Carbone est une condition sine qua non pour s’engager dans la SBTi. Il est alors nécessaire de se questionner sur le niveau de qualité du bilan, notamment en ce qui concerne son scope 3. La qualité du bilan dépend de celle des données utilisées, laquelle repose sur la transparence et l'organisation des calculs, garantissant leur conformité pour un audit. Voici quelques éléments qui permettent d’attester de leur qualité.
L'engagement envers la SBTi représente un processus exigeant dont l'objectif doit être clairement défini devant la direction de l'entreprise. Si réduire de manière significative et durable ses émissions de gaz à effet de serre était une démarche simple, toutes les entreprises l’auraient déjà accomplie. Il s'agit donc d'une décision stratégique de grande envergure pour l'organisation. Une telle transparence sur les enjeux liés à cette démarche favorise un engagement éclairé et solide de la part de la direction qui, par son pouvoir de décision, est en mesure d’impulser les actions nécessaires pour opérer de réels changements.
A ce titre, il faut prendre en compte que le référentiel SBTi implique :
L’engagement SBTi est un exercice rigoureux et il représente un investissement permettant de multiples avantages et opportunités :
Afin de maximiser l’efficacité et la précision des équipes impliquées dans le processus SBTi d'une entreprise, il est crucial d’organiser leur temps de travail de façon optimale. Pendant toute la durée de la démarche (24 mois maximum), il est conseillé que chaque métier de l’entreprise (achats, finance, ressources humaines, produit, marketing, services généraux, logistique) consacre une demi-journée par semaine aux enjeux liés au processus. L’implication de ces différents métiers est essentielle tout au long du projet.
Une planification détaillée des étapes et du temps de travail des collaborateurs facilitera une gestion optimale et offrira une visibilité accrue tout au long du processus. Attention, il faut bien tenir compte du fait que les membres sollicités dans le cadre de la démarche ne pourront pas consacrer autant de temps qu'habituellement à leurs projets métiers. Ainsi, une approche pragmatique, maîtrisée et réaliste permet d'aborder l'engagement de manière sereine.
Une fois la lettre d’engagement transmise, l’entreprise commence le compte à rebours de deux ans. Il est donc recommandé de ne pas se précipiter sur l’envoi de celle-ci et d’être clair sur ce que la démarche implique en termes d’engagements et d’organisation interne.
Ce point vous permettra de présenter l’ensemble des enjeux de la démarche à vos équipes internes. Il est donc essentiel de dépasser la simple tâche de remplir un tableau Excel. Comprendre les impacts de cette démarche et se familiariser avec les méthodologies sectorielles s'avèrent cruciaux, car elles influenceront l'ensemble des domaines de votre organisation. Il est notamment requis de s'informer sur ce qu’implique une trajectoire carbone.
La SBTi ne valide que les objectifs cohérents au vu du secteur et des émissions à date, elle ne valide pas les moyens pour atteindre les objectifs.
La SBTi permet aux entreprises de définir des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre basés sur des données scientifiques. Toutefois, elle n'est pas prescriptive en ce qui concerne le plan d’action.
En revanche, il existe le référentiel ACT initiative qui fournit un cadre d'évaluation aidant les entreprises à évaluer et à suivre leur progression vers la réalisation de leurs objectifs SBTi. ACT permet d'évaluer non seulement les émissions, mais aussi la stratégie de transition bas-carbone dans son ensemble. Elle propose un ensemble d'indicateurs pour évaluer l'efficacité des actions mises en place. En somme, elle représente un référentiel qui détaille les moyens d’atteindre les objectifs.
Comme évoqué précédemment, la prise en compte du scope 3 par les entreprises est indispensable pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. En effet, celui-ci représente la grande majorité de leurs émissions (80 % à 98 % dans la plupart des secteurs).
Sa réduction constitue un levier essentiel pour les entreprises dans leur stratégie de décarbonation. A noter que selon les critères de la SBTi, le scope 3 a l'obligation d'être considéré par l’entreprise dans sa stratégie bas-carbone que s'il représente plus de 40 % de ses émissions totales.
Aujourd'hui, beaucoup d'entreprises ont déjà entrepris des démarches de décarbonation de leur scope 3. Par exemple, la SNCF a instauré un prix interne du carbone pour évaluer ses fournisseurs (scope 3) et les contraindre à s’aligner dans une démarche d'offre bas-carbone.
Carrefour a également mis en place des initiatives à ce sujet en embarquant ses fournisseurs dans un objectif de réduction des gaz à effet de serre.
Rappel : Le focus sur le scope 3 dans la démarche SBTi découle de son ambition et de son alignement avec l'Accord de Paris. Les scopes 1 et 2 sont souvent minoritaires dans la part des émissions de l’entreprise. Ils sont en effet plus accessibles car les leviers d’action sont disponibles en interne. Le scope 3, lui, couvre généralement la majorité des émissions des entreprises, mais il dépend de l'amont et de l'aval de la chaîne de valeur. Ce qui signifie qu'il échappe au contrôle direct de l'organisation. Cette approche exigeante incite donc les entreprises à quantifier et à réduire ces émissions indirectes afin de respecter les objectifs climatiques mondiaux.
Le terme de scope 3 étant vaste, il est préférable de raisonner en termes de métiers de l’entreprise.
Cette identification permettra, en coopération avec les collaborateurs internes concernés, de travailler sur les leviers de réduction pertinents et propres à chaque métier.
SBTi propose des objectifs en valeur absolue et en intensité carbone, permettant aux entreprises de choisir l'approche la plus adaptée à leur modèle économique. Cela permet de faire le lien avec le business model et d’identifier les indicateurs d’émissions (nombre de produit, ETP, m2…).
La définition des objectifs de réduction en valeur absolue pour les scopes 1 et 2, et en intensité pour le scope 3, garantit une approche cohérente. Les réductions effectives des scopes 1 et 2 assurent des progrès tangibles tout en permettant une harmonisation mondiale si chacun suit la démarche SBTi. Le calcul en intensité pour le scope 3 intègre les émissions de la chaîne de valeur, favorisant un alignement collectif qui renforce la crédibilité des engagements et soutient une transition durable.
À l’approche de 2030, il n’est pas envisageable de ne pas considérer les 3 prochaines années comme du temps d’action si l’on veut que les objectifs soient atteignables. Il est donc crucial pour les entreprises de lier leur stratégie climat aux processus stratégiques existants.
Une gouvernance climat efficace commence par le comité de direction qui doit définir les sujets à discuter, tels que les progrès réalisés et la révision des objectifs climatiques. Il est également essentiel de fixer une fréquence de réunion pour assurer un suivi régulier des initiatives climatiques et maintenir ces enjeux au cœur des décisions stratégiques.
L'implication des différentes équipes, en particulier celles de la finance et des achats, est cruciale pour la réussite du plan de décarbonation. Une enveloppe d’investissement doit être définie par chaque direction métier et doit inclure les capex du “plan climat”. Il est également clé de définir les plan d’action chiffrés par an (en tCO₂ et en Opex/Capex). En intégrant ces métiers dans le processus, les entreprises pourront établir une feuille de route claire et réaliste pour leur transition climatique, favorisant ainsi une allocation optimale des ressources et l’adhésion à la stratégie climat.
Les grands groupes exercent une pression croissante sur leur chaîne de valeur pour inciter les fournisseurs à s'engager dans des initiatives de décarbonation. À titre d'exemple, certains programmes lancés par ces entreprises intègrent des critères environnementaux dans les appels d’offres où 5 à 15 % de la note finale dépend des performances climatiques des fournisseurs.
La décarbonation transforme en profondeur la dynamique entre les entreprises et leurs fournisseurs, posant un véritable défi en matière de co-innovation. En effet, il est impossible d'atteindre une réduction de 50 % de son scope 3 sans modifier les pratiques existantes. L'enjeu réside donc dans la nécessité d'offrir une certaine latitude aux fournisseurs pour qu'ils puissent proposer des solutions adaptées à la réduction des émissions.
Chez Elis, l'implication des fournisseurs dans la démarche de décarbonation se heurte à des difficultés liées à l’obtention des données nécessaires. Pour pallier cela, l'entreprise privilégie l'utilisation de ses propres facteurs d’émissions et données d'activités. Cette stratégie permet à Elis de continuer à avancer dans sa démarche tout en travaillant à l'amélioration de la collecte de données auprès de ses partenaires.
Schneider Electric a lancé le « Zero Carbon Project », une initiative visant à accompagner ses 1 000 principaux fournisseurs dans la réduction de 50 % de leurs émissions de CO₂ d'ici 2025. Ce programme inclut des sessions de formation, l'aide d'experts et l'accès à des outils et solutions pour atteindre ces objectifs.
L'Oréal a mis en place une politique d'approvisionnement durable pour ses ingrédients d'origine renouvelable, en collaboration avec l'ONG Rainforest Alliance. Cette initiative vise à garantir la traçabilité des matières premières, à évaluer les enjeux environnementaux et sociaux avec les fournisseurs, et à vérifier le respect de critères tels que des conditions de travail décentes, l'égalité au travail, la préservation de la biodiversité et la mise en œuvre de pratiques agricoles durables et bas carbone. Cette démarche est vérifiée par une tierce partie indépendante pour mesurer son impact positif sur les filières.
La décarbonation du scope 3 passe par une révision profonde du business model des entreprises. Cela implique d'examiner chaque aspect de leurs activités sous l'angle de l'impact climatique et d'adopter des stratégies innovantes pour réduire cet impact.
Voici quelques exemples de stratégies innovantes :
La décarbonation du scope 3 constitue un levier central pour aligner les entreprises sur les ambitions climatiques de l’Accord de Paris, en s’attaquant à la majeure partie de leurs émissions indirectes. Si des cadres comme la Science-Based Targets initiative (SBTi) offrent une méthodologie rigoureuse pour piloter cette transformation, leur mise en œuvre requiert des efforts substantiels : mobilisation interne, coopération avec les partenaires de la chaîne de valeur et réinvention des modèles économiques.
Toutefois, ces défis ouvrent aussi la voie à des opportunités stratégiques, renforçant la compétitivité et la résilience des entreprises engagées. Pour préserver la crédibilité de démarches telles que la SBTi, il est essentiel d’accompagner les organisations dans leur structuration et de veiller à la traduction concrète des engagements pris en résultats mesurables. Seule une action coordonnée et ambitieuse permettra de répondre efficacement à l’urgence climatique.