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Selon l’ADEME, les émissions évitées correspondent à “des réductions d’émissions réalisées par les activités, produits ou services d’une organisation, lorsque ces réductions se réalisent en-dehors de son périmètre d’activité”.
Concrètement, il s’agit de voir plus loin que la stricte empreinte carbone d’une entreprise et d’analyser de quelle manière ses produits ou services contribuent à l’objectif collectif de neutralité carbone (Net Zéro).
En effet, au-delà des émissions directes et indirectes induites par leurs activités, certaines entreprises développent des produits ou services qui émettent moins que la moyenne et permettent ainsi de réduire l’empreinte carbone de leurs clients.
Exemples :
💡 Dans son étude sur l’impact environnemental de produits reconditionnés, l’ADEME conclut que l’achat d’un téléphone reconditionné plutôt qu’un neuf permet d’éviter 77% à 91% de l’impact annuel, ce qui revient à prévenir l’émission de 25 kg de CO2eq par année d’utilisation (!).
Ainsi, lorsqu’une entreprise propose un produit ou service qui “émet moins” que son alternative disponible sur le marché, cet écart d’émission est considéré comme une “émission évitée”.
Les émissions évitées constituent le deuxième des trois piliers de la comptabilité carbone établis par la Net Zéro Initiative (NZI). Elles visent à quantifier l’impact de l’entreprise sur la décarbonation de son écosystème, en-dehors de son propre périmètre (Premier pilier : le Bilan Carbone).
Quelle différence entre Scope 3 et Scope 4 ?
Les notions d’émissions indirectes (Scope 2 et 3) et émissions évitées (Scope 4) couvrent une réalité différente :
Alors que la lutte contre le changement climatique requiert le développement de produits et services bas-carbone, il est apparu essentiel que les émissions évitées deviennent un élément d’appréciation dans la pertinence climat d’une entreprise, au-delà de son bilan carbone.
En effet, se concentrer uniquement sur l’empreinte carbone stricte d’une entreprise peut pénaliser certains acteurs qui vont connaître un développement important (et donc augmenter leur empreinte carbone) mais dont les produits et services contribuent pourtant à la décarbonation de l’écosystème. C’est par exemple le cas pour des acteurs de la seconde main qui évitent la fabrication de produits neufs, comme nos clients Vestiaire Collective et Selency.
Le calcul des émissions évitées permet ainsi à l’entreprise de se positionner comme un acteur qui contribue positivement à la lutte contre le changement climatique. Elle peut compléter son reporting climat au-delà de son propre impact et partager son engagement auprès d’autres acteurs, notamment ses clients.
Par ailleurs, l’entreprise peut aussi valoriser sa stratégie climat auprès de ses investisseurs, de plus en plus attentifs aux risques climatiques. En effet, une organisation qui contribue à la décarbonation de l’économie aura d’autant plus de chances de perdurer dans un monde bas-carbone, ses produits et services étant en eux-mêmes favorables à la lutte contre le changement climatique.
Du point de vue des clients et utilisateurs, l’affichage des émissions évitées leur permet de comparer des solutions du point de vue de leur impact sur les émissions de gaz à effet de serre et donc de choisir les solutions allant dans le sens de la transition bas-carbone.
Plus globalement, prendre en compte les émissions évitées encourage le développement d’une industrie porteuse de solutions bas-carbone et facilite son déploiement.
Il n’existe à ce jour pas de norme internationale sur la comptabilisation des émissions évitées. Cette absence de cadre a conduit les entreprises à utiliser des méthodologies de calcul différentes, conduisant à des résultats parfois surévalués.
Pour y remédier, la Net Zéro Initiative (NZI) a publié en juin 2022 un guide méthodologique visant à outiller les entreprises dans le calcul de leurs émissions évitées. Ce guide propose notamment :
Voici un résumé des principales étapes du calcul des émissions évitées ou “Scope 4” conformément au guide établi par la NZI.
👉 Consulter le guide “Pilier B” de la Net Zéro Initiative
Dans un premier temps, il s’agit pour l’entreprise de choisir les produits ou services de son portefeuille devant faire l’objet d’un calcul des émissions évitées. La NZI recommande de sélectionner les solutions les plus pertinentes, en se basant sur trois critères principaux :
La NZI évoque trois critères pour apprécier cette compatibilité : solution de décarbonation citée par le GIEC / solution éligible à la Taxonomie européenne pour les activités durables / intensité carbone de la solution alignée avec une trajectoire 1,5°C sur toute sa durée de vie.
Exemples : panneaux solaires pour un nouveau forage pétrolier, optimisation des moteurs de véhicules individuels très émetteurs, etc.
Cette première étape du calcul des émissions évitées vise à estimer les émissions induites par la solution. Elle nécessite de définir un scénario de définition de la solution en fonction du contexte dans lequel la solution s’insère (contexte de vente, pays d’utilisation, etc.).
Ces émissions induites par le produit ou service doivent être calculées dans une logique de cycle de vie. Autrement dit, doivent être prises en compte à la fois les émissions de la fabrication, du transport, d’usage et de la fin de vie.
Cette seconde étape vise à calculer les émissions qui auraient eu lieu en l’absence de la solution décarbonante. Il s’agit ainsi d’établir un scénario fictif appelé “scénario de référence”.
La Net Zéro Initiative (NZI) identifie deux types de scénarios de référence :
⚠️ Le choix du scénario de référence constitue la “clé de voûte” du calcul des émissions évitées. Il est donc essentiel que l’impact positif de la solution ne soit pas surestimé au risque de décrédibiliser l’ensemble du calcul et des résultats. L’ADEME recommande ainsi de justifier le choix du scénario de référence, de le décrire et d’expliciter les hypothèses de sa construction.
Il s’agit dans un troisième temps de calculer les émissions évitées en faisant la différence entre les émissions de la situation de référence et les émissions induites par la solution.
Pour calculer les émissions évitées à l’échelle de l’entreprise, il suffit enfin d’additionner l’ensemble des émissions évitées pour chaque solution vendue.
Dans le secteur de la mode, on peut notamment mettre en lumière l’exemple de Vestiaire Collective, plateforme en ligne dédiée à la mode de seconde main, qui publie en 2022 un rapport sur l’impact généré par son activité sur la société.
“Pour une paire de chaussures, un sac ou une veste, on estime que la seconde main permet d'éviter entre 77% et 90% des émissions de GES par rapport à l'achat d'une pièce neuve. Le calcul doit notamment prendre en compte le transport nécessaire pour acheminer le produit à son nouvel acheteur.
Dans le cas de Vestiaire Collective, le taux de substitution est estimé à 70%, ce qui signifie que 70% des achats sur la plateforme viennent effectivement remplacer un achat de première main et sont donc pris en compte dans le calcul des émissions évitées de l'entreprise." déclare Caroline Devaux, Environnemental Manager chez Vestiaire Collective.
Pour crédibiliser la démarche, il est important que le reporting et la communication sur les émissions évitées respectent certaines règles, rappelées par l’ADEME et la NZI :
Exemples de bonnes et mauvaises pratiques de communication
Source : Guide Pilier B, NZI
Exemple : pour la construction et le fonctionnement d’une ligne de TGV permettant de ne pas prendre l’avion, au moins trois acteurs contribuent aux émissions évitées : SNCF réseaux (gestionnaire du réseau), Alstom (construction des trains) et EDF (approvisionnement en électricité).
Au-delà de l’utilisation des émissions évitées à des fins de reporting et de communication environnementale, la NZI rappelle que les émissions doivent être considérées comme un indicateur stratégique d’aide à la décision visant à questionner le business model de l’entreprise. La maximisation des émissions évitées doit être un objectif car elle permet de garantir la pertinence des produits et services dans un monde bas-carbone.
En ce qu’elle se fonde essentiellement sur un scénario de référence, la quantification des émissions évitées reste un sujet complexe comportant une part importante d’incertitude. Même en suivant une méthodologie de calcul rigoureuse et en recourant à un scénario de référence le plus réaliste possible, les résultats peuvent s’avérer imprécis, difficilement comparables ou bien “trop optimistes”.
Par ailleurs, la NZI conclut que l’indicateur “émissions évitées” reste insuffisant pour conclure sur la pertinence climat ou non d’un produit ou service. En effet, certaines activités peuvent avoir une utilité à court terme pour la baisse des émissions mais devront se contracter à plus long terme pour respecter les objectifs climatiques.
Exemple de solutions “à court terme” pour éviter des émissions : entreprises proposant des services d’entretien des voitures thermiques, biocarburant pour les avions.
C’est pourquoi dans un second rapport publié en juin 2022, la NZI a proposé parallèlement un nouvel indicateur climat visant à évaluer la compatibilité des produits et services avec les objectifs de l’Accord de Paris.
Notons enfin que la réduction des émissions directes et indirectes doit rester la priorité et qu’une entreprise, quelle qu’elle soit, ne doit valoriser ses émissions évitées que si elle a au préalable agi sur ses propres émissions et promu la réduction des émissions sur sa propre chaîne de valeur.