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Bilan Carbone : approche physique, monétaire et qualité des données

La réalisation d’un Bilan Carbone implique la collecte de données d’activité sur l’ensemble de la chaîne de valeur d’une entreprise afin de calculer les émissions de gaz à effet de serre associées. La nature de ces données (physiques ou monétaires) et leur précision impactent directement la façon dont les émissions sont évaluées et donc la capacité à identifier des actions de réduction concrètes. Dans cet article, on vous éclaire sur l’approche physique et/ou monétaire pour la réalisation de votre Bilan Carbone, et sur leurs enjeux, leurs avantages et inconvénients respectifs !

Temps de lecture : 6 minutes

Qu’est-ce que la comptabilité carbone ?

La comptabilité carbone désigne les méthodes de calcul qui permettent de mesurer les émissions de gaz à effet de serre d’une entreprise, d’une organisation ou d’un individu.

En effet, bien qu’il existe des appareils et techniques pour mesurer directement dans l’air les émissions, cette approche n’est pas envisageable pour mesurer rapidement et efficacement les émissions des entreprises. Il est donc apparu nécessaire de faire émerger des standards de calcul pour leur permettre d’accéder relativement “facilement” à leur empreinte carbone.

En France, la méthode de comptabilité carbone la plus répandue est celle mise au point par l'ADEME dénommée Bilan Carbone®. Mais il existe également d’autres méthodes telles que le GHG Protocol, reconnues à l’international.

Pour faciliter l’agrégation de données de sources diverses, la comptabilité carbone utilise des facteurs d’émission, soit un coefficient permettant de convertir une donnée (physique ou monétaire) en émissions de CO2 équivalent (CO2eq).

Deux approches principales sont ainsi utilisées : 

  • l’approche dite “physique”, basée sur la conversion de données physiques (km parcourus, m2 occupés, kWh consommés, etc.) par des facteurs d’émissions physiques (kgCO2eq/km, kgCO2eq/km2, kgCO2eq/kWh, etc.)
  • l’approche dite “monétaire”, basée sur la conversion de données monétaires (factures, etc...) par des facteurs d’émissions monétaires (plus communément appelés “ratios monétaires”), exprimés en kgCO2eq/€ de dépenses.

L'équation de la comptabilité carbone : donnée d'activité facteur d'émissions
L'équation de la comptabilité carbone - exemples :
exemples pour expliquer l'équation de la comptabilité carbone

L’approche monétaire : un ordre de grandeur rapide à calculer, mais insuffisant

Définition de l’approche monétaire

L’approche monétaire vise à estimer une quantité d’émissions de gaz à effet de serre à partir d’une facture ou d’un montant monétaire. Elle passe par la conversion d’euros (ou autre devise) en émissions de gaz à effet de serre (kgCO2eq) à l’aide de ratios monétaires exprimés en kgCO2eq/€ (ou kgCO2eq/$, etc.).

En pratique, l’approche monétaire peut être utilisée pour évaluer en ordre de grandeur les émissions liées aux dépenses (achats de biens et services) de l’entreprise, pour lesquelles la collecte de l’intégralité des données physiques serait trop chronophage. 

Elle présente un intérêt lorsque les émissions liées à un service sont difficiles à rapprocher à une donnée physique (par exemple, pour les services rendus par une société de conseil en marketing, une agence de sécurité, une assurance…).

L’ADEME fournit dans la Base Empreinte® des ratios monétaires pour 36 catégories d’achat de biens et services courants des entreprises, que vous retrouverez dans les graphiques ci-dessous.
Ratios monétaires pour 36 catégories d’achat

Notez-le

Le périmètre des ratios monétaires inclut toutes les émissions en amont de la chaîne de valeur des produits ou services achetés (fabrication, fret amont, assemblage, etc.). Le Scope 3 aval (utilisation, fin de vie) est cependant exclu car pris en compte dans les émissions de l’entreprise qui réalise le Bilan Carbone (émissions directes ou indirectes en aval).
Ainsi, pour une machine-outil, le ratio monétaire “Machines et équipements” ne prend pas en compte la consommation d’électricité de cette machine, qui sera dans le scope 2 (“électricité”) de l’entreprise, ni sa fin de vie, qui sera dans le scope 3 (“fin de vie”).

Exemple du périmètre pris en compte dans le ratio monétaire “Machines et équipements”

Avantages de l’approche monétaire

L’approche monétaire présente trois avantages :

  • Elle est plus facile à mettre en place que l’approche physique. En effet, les données comptables sont généralement plus accessibles et moins complexes à collecter que les données physiques.
  • Elle est également plus rapide notamment quand des procédés d’automatisation sont mis en place par l’entreprise (par exemple, la récupération systématique des données comptables grâce à un FEC - Fichier des Écritures Comptables). 
  • Enfin, l’approche monétaire s’avère aussi moins coûteuse pour l’entreprise car elle nécessite moins de ressources tant financières qu’humaines.

De manière générale, l’approche monétaire est utile pour pallier un manque de données physiques sur les produits achetés, ou lorsque l’approche physique est complexe à utiliser pour les achats de services. Elle peut être utile également lorsqu’un facteur d’émission physique n’est pas disponible. Dans ces différents cas de figure, l’approche monétaire constitue une alternative intéressante pour disposer malgré tout d’un ordre de grandeur sur les émissions. 

Limites de l’approche monétaire

Cependant et comme l’a rappelé l’Association pour la transition Bas-Carbone (ABC) en 2021, l’approche monétaire est insuffisante pour évaluer de manière précise et exhaustive l’empreinte carbone d’une entreprise, et ne permet pas d’identifier et suivre les actions de réduction d’émissions. 

Il s’agit en effet d’une méthode moins précise et granulaire que l’approche physique. Les ratios monétaires ont une incertitude très élevée (estimée en moyenne à 80%) car ils peuvent couvrir des produits ou services à l’empreinte radicalement différentes, comme l’illustrent ces deux analyses :

Facteur d’émissions monétaires de produits chimiques
Facteur d’émissions monétaires de produits chimiques.
Source : Documentation Base Carbone
Facteur d’émissions monétaires de transporteurs terrestres. Source : Documentation Base Carbone

À titre d’exemple, les émissions liées aux consommations d’énergie d’une entreprise peuvent être estimées sur la base des dépenses d’énergie à l’aide d’un ratio monétaire. Cependant ces ratios sont très incertains car sensibles à la volatilité des prix du marché de l’énergie. De plus, une facture d’énergie peut couvrir des sources avec des émissions par kWh très différentes, qui ne se reflètent pas dans le prix.

Emissions de gaz à effet de serre (gCO2e) pour la consommation d'1 kWh de chauffage en 2018.
Emissions de gaz à effet de serre (gCO2e) pour la consommation d'1 kWh de chauffage en 2018. Source : Carbone4.

Pour l’achat de biens et services, les ratios monétaires présentent également une limite intrinsèque dans le sens où ils ne couvrent que les émissions générées en amont de la chaîne de valeur (soit la production et le transport en amont du fournisseur). Il est donc important que l’entreprise estime également le transport aval du fournisseur (qui correspond au transport amont de l’entreprise !). Ces données sont généralement plus facilement accessibles et l’entreprise dispose sur elles d’un levier d’action plus important.

💡 Le saviez-vous ?

L’article L.1431-3 du Code des transports impose à tous les prestataires de transports de voyageurs ou de marchandises d’afficher les émissions de gaz à effet de serre des trajets proposés. Ce dispositif, appelé Informations GES pour les prestations de transport, veut valoriser les transports les moins émetteurs pour sensibiliser sur un secteur qui pèse pratiquement un tiers des émissions nationales (2019).

Notons également que l’approche monétaire est peu adaptée pour évaluer les émissions d’un produit sur tout son cycle de vie. En effet, seule une approche physique ou la réalisation d’une Analyse du Cycle de Vie peuvent permettre de quantifier précisément ces émissions.

Enfin, l’approche monétaire ne permet pas de suivre l’évolution de son empreinte carbone, ni de mesurer l’impact de ses actions de réduction. En effet : 

  • une baisse des dépenses ne se traduit pas forcément par une réduction de l’empreinte carbone, car elle peut être portée par l’évolution du prix de marché (ex : baisse du coût de l’énergie), ou par l’achat de produits fabriqués dans des pays moins chers (avec un système productif plus émissif !)
  • inversement, une hausse des dépenses peut être induite par l’achat de produits mieux-disant d’un point de vue environnemental et moins émissifs.

Une variation des dépenses ne permet donc pas d’évaluer avec précision l’évolution de l’empreinte carbone d’une entreprise.

L’approche physique : une mesure précise nécessitant des données opérationnelles

Définition de l’approche physique

L’approche physique vise à calculer des émissions de gaz à effet de serre à partir de données physiques. Elle recourt à l’utilisation de facteurs d’émissions physiques exprimés en kgCO2eq/unité physique.

Exemples de données physiques : 

Avantages de l’approche physique

L’approche physique est la seule qui permet de coller au plus près de la réalité physique des activités de l’entreprise. Or, l’obtention d’une représentation fidèle des postes d’émissions principaux de l’entreprise conditionne la mise en place d’actions de réduction ciblées et véritablement efficaces. Elle doit donc être privilégiée dès lors que les données physiques existent ou qu’il est possible de les obtenir.

Inconvénients de l’approche physique

Plus rigoureuse que l’approche monétaire, l’approche physique nécessite la collecte de données physiques détaillées sur l’ensemble des opérations, et idéalement dans sa chaîne de valeur via ses fournisseurs. La collecte de ces données et leur gestion peut être exigeante en termes de ressources, notamment dans les grandes entreprises. À ce titre, elle nécessite souvent de faire appel à une expertise spécifique et à une plateforme dédiée de comptabilité carbone.

Néanmoins les solutions se multiplient pour pallier ces inconvénients et l’entreprise ne doit pas hésiter à y recourir : technologies de monitoring des données, logiciels ou plateformes de pilotage des données carbone, automatisation de la collecte des données... sont autant de moyens qui peuvent rendre la collecte des données plus simple et rapide à mettre en œuvre.

Approche physique

Approche monétaire

Type de données

Données opérationnelles

Données comptables

Source des données

  • Principaux services de l’entreprise :
    achat, logistique, services généraux,
    responsables de sites, RH…
  • Fournisseurs de biens et services,
    prestataires de transport
    (scope 3 aval et/ou amont)
  • Clients (scope 3 aval)

Finance

Niveau d'incertitude

Faible

Très élevée (80%)

Difficulté de réalisation

Variable (selon accessibilité des données)

Facile

Identification des
actions de réduction

Elevée

Limitée

Suivi de l’impact
des actions de réduction

Possible

Impossible

Qualité des données : l’indispensable composante d’un Bilan Carbone

La qualité des données collectées joue un rôle essentiel pour assurer le succès de la réalisation d’un Bilan carbone. En choisissant préférentiellement des données fiables, précises et récentes, l’entreprise réduit le niveau d’incertitude des calculs effectués par la suite pour obtenir les émissions associées.

L’Association pour la transition Bas-Carbone (ABC), a établi une catégorisation du niveau d’incertitude des données d’activités

  • Si la donnée est obtenue par une mesure ou qu’elle est “spécifique” à l’entreprise, l’incertitude est estimée entre 0 et 5%. Exemple : relevé de consommation électrique sur un compteur.
  • Si la mesure est extrapolée ou ”semi-spécifique”, l’incertitude est estimée à 30%. C’est par exemple le cas lorsque le relevé de compteur n’est possible que pour certains des sites d’une entreprise : les données sont alors extrapolées pour les sites restants.
  • Si la donnée est statistique ou générique, l’incertitude est estimée à 50%.

Par conséquent, l’entreprise peut réduire le niveau d’incertitude en choisissant dès que possible des données claires et précises mais aussi des facteurs d’émission fiables et suffisamment actualisés. En effet, le niveau d’incertitude des émissions dépend de deux facteurs : 

  • le niveau d’incertitude de la donnée collectée  
  • le niveau d’incertitude des facteurs d’émissions utilisés

Exemples de données d’activité à collecter, en fonction de leur précision : 

Poste d’émission

Niveau de précision élevée

Niveau de précision moyen

Niveau de précision faible

Niveau de précision très faible

Electricité & gaz naturel

Consommation en kWh (factures, fichier consolidé,...)

Superficie de vos bâtiments (en m2) et le ou les types de chauffage

Montant dépensé en €

Autres combustibles

Quantités de combustibles consommés, par type, en L, m3, kWh,... (factures, fichiers consolidés)

Caractéristiques des équipements permettant d’estimer la consommation (fiche technique)

Montant dépensé pour les combustibles en €

Réseau de chaleur / de froid

kgCO₂eq transmis par le fournisseur

Consommation en kWh ou en TVP (tonne vapeur)

Surface chauffée ou refroidie (m²)

Montant dépensé en €

Climatisation

Relevé de maintenance (CERFA 15497) indiquant le volume de fluide rechargé

Inventaire des équipements de climatisation

Surfaces climatisées (m²)

Équipement de réfrigération

Relevé de maintenance (CERFA 15497) indiquant le volume de fluide rechargé

Inventaire des équipements de climatisation

Parc immobilier

kgCO₂eq du chantier fourni par le prestataire

Superficie du bâtiment construit en m2 / Montant des travaux (€)

Transport de marchandises en amont, en aval ou en interne

kgCO₂eq transmis par le transporteur

Inventaire des distances et des poids transportés par type de transport (camion, train, avion, bateau,...)

Montants dépensés en €

Matières premières et biens manufacturés

Volume de matières achetées (en kg)

Inventaire détaillé depuis le Grand livre (ensemble des écritures comptables)

Inventaire simplifié de chaque service de l’entreprise

Montant dépensés en €

Approche physique ou monétaire : comment choisir ?

Les approches physiques et monétaires ne doivent pas être opposées mais doivent plutôt cohabiter dans l’exercice d’un Bilan Carbone. Nous recommandons aux entreprises d’adopter la stratégie suivante : 

  • dès lors que l’approche physique est possible (i.e. les données disponibles ou pouvant être estimées), elle est fortement recommandée
  • En cas d’absence de données physiques ou de difficulté à les estimer, l’entreprise peut recourir aux approches suivantes :
    • En priorité, demander aux fournisseurs l’estimation de l’empreinte carbone des biens et services fournis à l’entreprise.
    • En dernier recours, utiliser des ratios monétaires pour obtenir un ordre de grandeur. Néanmoins, cela doit constituer une étape, typiquement pour un premier bilan carbone, et l’objectif sera ensuite d’affiner le résultat grâce à des données physiques ou fournisseurs 

Il est également important de faire preuve de pragmatisme. Le Bilan Carbone constitue une démarche d’amélioration continue et non “one-shot”. Il n’est donc pas bloquant de ne pas disposer de l’ensemble des données d’activité pertinentes dès la première année. L’objectif est d’aller progressivement vers une approche physique complète grâce à l’obtention de données de plus en plus fiables, en interne ou auprès de ses fournisseurs, et de facteurs d’émissions de plus en plus précis.

Il faut également garder à l’esprit que le calcul de l’empreinte carbone d’une entreprise est, par nature, une estimation comportant une part d’incertitude. Il s’agit donc de limiter le plus possible cette incertitude en étant rigoureux quant aux données d’activité utilisées. Par ailleurs, il est préférable d’identifier une marge d’erreur plutôt qu’aucune erreur. Autrement dit, une estimation des émissions par un ordre de grandeur physique ou à défaut un ratio monétaire sera préférable (dans un premier temps) à aucune estimation du tout.

Conclusion

La réalisation d’un Bilan Carbone se fonde sur une approche physique et/ou monétaire pour calculer les émissions carbone associées aux activités de l’entreprise et de sa chaîne de valeur. 

Dans l'optique d’obtenir une vision la plus fidèle possible de ses émissions, l’approche physique doit être privilégiée. Toutefois, l’approche monétaire est généralement nécessaire a minima pour estimer les émissions des dépenses qui ne se prêtent pas à une approche physique ou pallier un manque de données physiques. 

Au-delà de ces deux approches, la qualité des données collectées joue également un rôle crucial pour garantir des actions de réduction des émissions efficaces. La finalité d’un Bilan Carbone n’est pas une mesure, aussi précise soit-elle, mais d’identifier, prioriser et mettre en œuvre les actions de réduction d’émissions !